Sunday, December 06, 2015

MESSAGE DE NOËL

C’est reparti, nouvelle ruée obligatoire vers les cadeaux de Noël ! Le problème est que si vous achetez, vous nourrissez le système capitaliste qui transforme les êtres humains en consommateurs. Mais ne rien acheter, c’est choisir le camp des régimes obscurantistes qui menacent de s’abattre sur nous. Comment faire ?
Il y a une troisième voie : offrez deux cadeaux à vos proches que ni les multinationales, ni les intégristes ne pourront jamais leur donner. 
La première : une œuvre littéraire. C’est le dernier acte de résistance voire de rébellion accessible à tous. Si vous ne savez pas quelle œuvre choisir, demandez conseil à un libraire, il en reste encore, ou bien lisez les blogs indépendants (Unwalkers, le salon littéraire, Phenixweb, Yozone, Plume Libre, pour ne citer que mes préférés). Évitez  d’écouter les médias, ils sont vendus au système et essaieront de vous refourguer n’importe quoi à grands battages. 
Le deuxième cadeau: un sourire. 

Moi je vous offre le chapitre 98 de "L'Origine du monde". Il est de circonstances. 
Bonnes fêtes quand même !

Les rues de Paris s’étaient illuminées de millions de lampions à l’approche de Noël. Les néons du néant publicitaire répandaient leurs messages mensongers, les vitrines des boutiques surchauffées aguichaient les chalands frigorifiés, les tapis rouges étaient déroulés sous les pieds des moutons en fourrure jusqu’aux caisses qui scannaient, enregistraient, tintaient comme les cloches d’un requiem, les grands magasins brillaient comme des cavernes d’Ali Baba pour donner l’illusion d’une profusion inépuisable, les marchés en préfabriqués écoulaient alcool, cholestérol, babioles made in China, des smicards déguisés en Pères Noël rabattaient leurs proies à tous les coins de rue… 
La société de consommation fonctionnait à plein régime.
Noël. Du latin natalis ou « jour de naissance » censé célébrer la naissance de Jésus à Bethléem un 25 décembre. Cette fête chrétienne était précédée du temps de l’avent, du latin adventus ou « venue », correspondant aux quatre semaines avant le jour J où les fidèles attendaient la venue du Sauveur. L’arbre de Noël symbolisait alors la lumière et la vie. 
La civilisation occidentale changea ce jour de fête en adoration du veau d’or. Au nom d’un dieu dodu à la barbe blanche et au costume pourpre, il fallait acheter, consommer, boire, manger, se vautrer dans le stupre. Le temps liturgique de l’avent était réduit à la prescription quotidienne d’un corps gras chocolaté qui accommodait l’estomac à ingurgiter une nourriture plus riche que de coutume. Le sapin était devenu un totem à la gloire des paquets cadeaux qu’on amoncelait à son pied en offrande à ce dieu débonnaire du merchandising inventé par les multinationales. La crèche traditionnelle avait disparu des foyers au profit d’un alignement de souliers vides et votifs. Les enfants étaient priés de choisir sur des listes gérées par les firmes du jouet qui devançaient leurs souhaits. Les adultes se préparaient à avaler une grande quantité des viscères malades, des breuvages chimiques pétillants, des mollusques bivalves au cadmium et au plomb encore vivants. Vouant un véritable culte aux triglycérides, aux lipides, aux glucides, les gens se réveilleraient de leurs agapes entre quatre murs de béton ou dans leur vomi, avec une gueule de bois ou une crise de foie.
C’était cette société basée sur les frasques et le fric qui avait repoussé Simon dans la marge. Son éducation tournée vers la spiritualité avait fait le reste. Il en avait acquis un attrait pour les cultures ancestrales et primitives qui offraient la part belle à la méditation et à la transcendance, avant de réaliser un jour que son parcours avait été minutieusement calculé par ses parents et que rien n’avait été décidé par lui.
Aujourd’hui, la seule façon de donner un sens à sa vie était de faire éclater ce système qui produisait des moutons, des faibles, des abrutis, des radicaux comme lui. Secouer l’apathie d’une humanité qui ne savait même plus se nourrir, ni se loger, ni s’habiller. Il en avait les moyens grâce à Maxime qui lui offrait un réseau pour rester dans la clandestinité et une logistique pour mener à bien ce dessein.   
Simon leva les yeux sur la Tour Eiffel maquillée dans la nuit comme une pute anorexique, inspira du monoxyde de carbone répandu par le trafic automobile dense et alluma une cigarette pour ajouter un plus de gaz toxique dans ses poumons. Il déambula dans le quartier où vivaient jadis ses parents. Là où il avait aussi rencontré Sabbah. Un klaxon le fit sursauter sur une seconde de nostalgie qu’il refoula au fond de lui. Il n’y avait de place que pour la rédemption. Simon allait apporter le salut à l’humanité pécheresse. Un véritable boulot de Messie. Sabbah serait contente.
Il s’arrêta devant une pâtisserie qui faisait miroiter des bûches multicolores sur des étals aussi étincelants que ceux d’une bijouterie. Sa vue se brouilla. La nausée lui vrilla les tripes. Il demanda l’heure à un passant. Son rendez-vous était proche.