ANGÉLIQUE
Je n’ai pas l’habitude de commenter mes lectures car je n’aime pas juger mes collègues. D’autant plus qu’une bonne critique peut passer pour du copinage. Je préfère agir discrètement dans les coulisses du Grand Prix de Littérature Policière qui récompense chaque année le meilleur roman du genre. Je fais néanmoins ici une exception pour le nouvel ouvrage de Guillaume Musso qui semble avoir opéré un vrai virage vers le thriller avec ce Angélique au titre en trompe-l’œil. C’est aussi l’occasion d’en finir avec la question de savoir si l’écrivain le plus populaire en France est aussi un grand écrivain de polar. Y a-t-il un style Guillaume Musso ? Qu’est-ce qui fait que ses livres touchent autant de gens, indépendamment de l’arsenal marketing déployé autour de ses parutions ?
Dans Angélique, les destins de Louise, Angélique et Mathias vont se croiser, ou plutôt se percuter et déclencher une série de péripéties inattendues entre Paris et Venise. Je ne dévoilerai rien sur l’histoire car chaque page, chaque chapitre réserve une surprise, un rebondissement, un retournement de situation. Sachant qu’ici, ce ne sont pas les évènements qui sont trompeurs, mais les personnages ! Leurs identités et leurs motivations sont sources de suspense et de coups de théâtre. Un peu comme chez Bacri et Jaoui où le dénouement révèle que souvent les gens ne sont pas ceux que l’on croit.
Angélique se veut donc un thriller psychologique, où les dialogues et l’introspection priment sur l’enquête, l’action et la baston.
Contrairement à la plupart des polars, Angélique est exempt de manichéisme. Pas de jugement de valeur, pas de leçon de morale, pas de politique, pas de ligne tracée entre le bien et le mal. Des inserts d’articles de presse et d’extraits d’interrogatoires renforcent cette absence de parti-pris. Contrairement à nombre d’auteurs qui croient indispensable de livrer leur avis éclairé sur l’état de la société, Guillaume Musso ne cherche pas à imposer sa vision du monde, à surfer sur les thèmes à la mode, à aller dans le sens de l’idéologie dominante, ni à se donner bonne conscience en traitant de sujets graves. On appréciera d’autant plus les quelques piques discrètement lancées contre la société de consommation ou les idéologies en vogue, telles ces placements de produit à la Fight Club ou l’interrogatoire de Mathias par un médecin psychiatre tendancieux.
Ainsi, tout le monde peut facilement se projeter dans Angélique. Et quand je dis tout le monde, c’est au sens propre : Guillaume Musso est lu dans 45 pays. Sa façon de raconter une histoire est similaire à celle des Anglo-Saxons pour qui l’humilité face au texte n’est pas un problème. Une méthode qui implique Outre-Atlantique la collaboration étroite entre les rédacteurs des maisons d’éditions et les auteurs lors de maintes réécritures jusqu’à atteindre l’universalité. À la différence que Guillaume Musso y parvient seul, au terme d’un long processus artisanal s’appuyant sur les retours de lecture de son éditrice et de sa compagne.
Pour renforcer cette universalité, et exonérer le récit d’une temporalité et d’une spatialité trop marquées, à la manière d’un conte en quelque sorte, l’auteur d’Angélique ne noie pas son histoire dans notre réalité contemporaine. La seule référence temporelle du roman étant la pandémie de Covid, mais qui sert principalement à « nettoyer » le décor et à le rendre un peu plus magique. Ses personnages, complexes, évoluent ainsi dans des villes de carte postale (Paris et Venise comme vues par des touristes).
Vous l’avez compris, Guillaume Musso ne se regarde pas écrire. Pas de digressions, pas de fioritures linguistiques, quitte se prendre les pieds dans quelques répétitions. Les belles phrases, il les laisse aux autres auxquels il fait référence en plaçant leurs citations en têtes de chapitres. Musso raconte mais ne se la raconte pas. Et pour le coup, quel conteur ! Chaque mot, chaque détail est là pour servir l’intrigue. Style simple, lapidaire, efficace. J’en veux pour preuve ces deux phrases qui suffisent à définir un personnage : « Il se prendrait les coups de poing, les coups de couteau, les projectiles, les balles. C’était quelque chose qu’il savait faire. »
Au lecteur de faire travailler son imagination à partir des éléments fournis par l’auteur.
Si Guillaume Musso vire l’inutile et l’encombrant, il gomme aussi les aspérités qui peuvent choquer, voire bloquer le lecteur. Pas de violence, de torture, de scènes de baise. On pourrait presque parler de thriller solaire. On est ici très loin de l’univers de mes romans, mais c’est cette diversité dans la façon de raconter une histoire qui fait la richesse du polar, n’en déplaise à tous les esprits sectaires qui sont pléthore dans ce milieu.
Le lecteur d’Angélique, lui, n’aura donc à souffrir d’aucun passage rebutant, ennuyeux ou lui rappelant simplement la misère du monde dont il cherche à s’évader à travers la lecture. Pour lui faciliter celle-ci, Guillaume Musso recourt au point de vue omniscient et à l’ironie dramatique pour que son lecteur en sache plus que ses personnages, et connaisse même le nom du coupable, sans pour autant que cela nuise au suspense, ce qui relève d’un sacré savoir-faire. Un savoir-faire que l’on trouve également dans un art chirurgical du montage, avec un récit construit comme un puzzle, découpé en trois parties centrées chacune sur l’un des protagonistes et enchâssant des flash-back bien placés. Guillaume Musso ose user également de quelques facilités scénaristiques pour « huiler » sa mécanique, une technique relevant plus du scénario, mais qui contribue à la fluidité du récit.
Avec Angélique, le lecteur n’a qu’une option : se divertir et faire gambader son imagination. Mais intelligemment. Car dans son roman, Guillaume Musso s’interroge sans cesse sur ce qu’est l’humain et sur ce qu’est le réel, les deux questions fondamentales que doivent se poser tout grand écrivain.
En conclusion, Angélique est une mécanique de haute précision construite par un auteur expérimenté qui démontre avec son vingtième roman qu’il maitrise totalement son art. Avec Angélique, Guillaume Musso confirme qu’il est un auteur de polar talentueux avec lequel il faut compter.