Wednesday, February 27, 2008

L'ESSENCE DU VOYAGE



Le voyage est un retour vers l’essentiel, dit un proverbe tibétain. Mais pas n’importe quel voyage. Pas de ceux qui propulsent à prix promos les touristes dans des « resorts all inclusive » avant de les gaver de buffets à volonté et de cocktails gratis pour mieux les retenir calfeutrés dans leur hôtel-club, à l’écart de la misère des insulaires nourris aux galettes de boue. Ni de ces transhumances saisonnières qui engorgent les autoroutes menant aux cimes enneigées sentant la frite et la fondue ou aux côtes françaises battant pavillon bleu au-dessus des charniers de cadavres rosis et badigeonnés d’huile solaire.
Le vrai voyage est initiatique, en ce sens qu’il doit révéler, donner accès à la connaissance d’un mode de vie différent, d’un autre monde. Le voyage est une aventure où l’on perd ses repères, ses habitudes, ses préjugés, ses certitudes. Où l’on apprend un peu sur l’autre et beaucoup sur soi-même. Où l’on perd son âme et son moi de pacotille au profit de l’écoute et de la tolérance. Les voyages nous détruisent et nous reconstruisent. Ils nous réapprennent à lire le monde, dans le texte, avec notre passeport en guise de marque-page. Ils bousculent nos pensées et notre façon de vivre. Ils nous font devenir autre, et même remonter le temps. Mieux que la psychanalyse de Sigmund, mieux que la machine de H.G. Wells.
Voyager, c’est s’ouvrir à un pays, s’imprégner de ses odeurs, le toucher affectueusement, l’entendre parler et chanter, le goûter à pleines dents, coucher avec lui, le voir se réveiller.
L’Île Maurice, d'où je reviens à peine, fait partie de ces destinations initiatiques. Ou plutôt la République de Maurice. Car ce pays béni de tous les dieux, hindous, chrétien, musulman, et auréolé de lagons, est aussi une démocratie. Le paradis, quoi. Toutes les religions, toutes les races, toutes les langues cohabitent pacifiquement à l’intérieur d’un périphérique de corail serti dans l’Océan Indien.
J’ai ainsi parcouru 10 000 kilomètres pour entendre des bouts de dialogue en créole ou en bhojpuri, communiquer par la gentillesse plutôt que par l’intérêt, échanger des sourires qui donnent envie de se poser, ralentir la vitesse du temps, nager au milieu des dauphins, m’immerger de silence turquoise, marcher pieds nus dans une lumineuse beauté, m’enflammer le palais, prendre pour repas un ananas juteux tout juste cueilli, me faire caresser par un vent tiède, me laisser mouiller par la pluie, formuler un vœux devant une statue de Shiva...
Certes les cafards y sont presque aussi gros que des Chamonix, les mouches à cerf m’ont fait sentir passer leurs piqûres, la route y est plus dangereuse qu’une plongée au milieu des requins, les cyclones Ivan et Hondo ne sont pas passés loin, histoire de nous rappeler que la nature, si elle est prodigue, n’en est pas moins reine. Mais ici, les hommes baptisent les perturbations atmosphériques dévastatrices, donnent des noms poétiques aux villages, aux rivages, aux rivières, aux montagnes, les lagons chatoient de mille bleus dans lesquels se baignent joyeusement les femmes en saris aux multiples couleurs, tandis qu’à l’ombre des cocotiers, des filaos et des flamboyants, un air de sega et des effluves de poisson grillé s’échappent des cases en tôles ondulées pieds dans l’eau. Sereine, Maurice n’est pas abîmée, ni traumatisée par le tourisme massif. Pour combien de temps?
En attendant d’y retourner, pour le prix d’un canapé ou d’une dizaine de pleins d’essence, je garde le précieux souvenir de Josee qui nous a concoctés une pâte maison avec des piments achetés au marché de Port-Louis, de Raj qui nous a fait découvrir son pays sans compter, de Sam un serveur qui nous a offert à boire en nous passant du Joe Dassin, ainsi que d’une poignée de Français sympathiques rencontrés là-bas, Sonia, Sabine, Gilles, Christophe, qui se sont fondus avec respect et humilité dans le paysage. Je garde ancrées en moi la formidable gentillesse des Mauriciens et la vision du jardin d’Eden qui leur sert de nation, cette page du monde que j’ajouterai à celles de mes romans.

Monday, February 04, 2008

QUENTIN, TOM, NICO et les autres...




Avant d’aborder le thème de cette chronique, je résume en quelques lignes mon actualité de ce début d’année pour répondre aux questions qui me sont souvent posées. A ceux que cela n’intéresse pas, je conseille de changer de blog ou de passer directement au paragraphe suivant. Les éditions Points qui m’éditent en format poche, offrent, pour deux livres achetés en librairie, « Les meilleures enquêtes » du journal Libération. 20 ans de crimes qui ont secoué la France. Aussi indispensable au lecteur de polars et de thrillers que peut l’être un dictionnaire à un joueur de scrabble. Tandis que « La Dernière arme » sortait chez Points et bénéficiait de cette opération promotionnelle, je finalisais mon premier recueil de 36 nouvelles ultra violentes… J’en dirai plus ultérieurement sur ce recueil ainsi que sur « Casting fatal » dont la sortie est prévue en février 2009. Les feux de mon actualité sont pour l’instant braqués sur « La dernière arme » et sur la sortie début mars de « Couverture Dangereuse » au Diable Vauvert. En ce qui concerne le troisième volet des aventures mouvementées de Nathan Love, je suis en train d’empiler de la documentation, d’effectuer des repérages aux quatre coins du monde, de développer les axes dramatiques et thématiques. Ecriture du premier chapitre dans quelques jours. Ce troisième opus devrait faire très peur…

Voilà pour la littérature. Le reste c’est du cinéma. Car le cinéma est partout, à l’image de son incarnation : Quentin Tarantino. Le problème avec QT, c’est qu’il commence à en faire un peu trop. Fuck ! Le plus grand dialoguiste du monde est en train de virer mauvais geek pubère. Déjà, en 2004, il avait caressé le politiquement correct et l’ineptie artistique en refilant une palme d’or à « 9/11 », récompensant un documentaire propagandiste dans un festival de cinéma. Erreur de jeunesse, d’accord. Pourtant, dix ans auparavant, Clint Eastwood lui avait montré comment on s’y prenait, en décernant sa palme à « Pulp Fiction » un chef d’œuvre signé d’un jeune hors-la-loi surdoué tombé dans la potion du cinéma quand il était petit. Aujourd’hui, le prodige en question nous sert un « Death Proof » filmé avec brio certes (le génie ne disparaît pas comme ça quand même), mais dialogué et scénarisé comme un mauvais épisode de « Friends ». Enfin, et là ça craint, QT s’est invité sur le commentaire audio du DVD de « Hot Fuzz », à grands renforts de citations et de références, mais aussi de méchancetés. L’auteur de « Kill Bill » a le droit de considérer « Hot Fuzz » comme le meilleur film de 2007 et de kiffer les films bourrins, mais pas de décaniller Night Shyamalan et encore moins de se moquer de son nom. A chacun ses goûts comme celui de préférer « Un justicier dans la ville » à « Incassable ». Mais si QT, qui manifestement a choppé le melon, continue d’être aussi primaire et manichéen que Charles Bronson dans le rôle du vigilante, il va finir par nous pondre une daube comme il les adore. Tout ce qu’on peut espérer, c’est que le petit Quentin se décide enfin à arracher les posters de Chuck Norris qui ornent sa chambre, à balancer ses vidéo pourries et à nous faire un nouveau « Reservoir Dog ». Clint Eastwood, en 1994, lui avait montré la voie.

Le cinéma, toujours lui, a investi la religion. Hollywood voit naître de nouveaux prophètes, de nouveaux messies. Dernier en date : Tom Cruise. Dans une vidéo (tournée il y a 4 ans quand même) qui fait beaucoup parler d’elle en ce moment sur le Net, il se fait le chantre de la scientologie. Horreur ! Malheur ! Vade retro Ron Hubbard ! C’est vrai que ce n’est pas très trash, ni glamour, ni tendance, une star qui ne boit pas, ne se drogue pas et se répand en morale avec une candeur désarmante. Eludant le fait que Tom se soit servi de cette doctrine pour se débarrasser d’une dyslexie méchamment handicapante, les bonnes consciences et les beaux esprits critiquent ce prosélytisme. Il faut dire que les religions officielles veillent au grain ou plutôt à leurs parts de marché. En Allemagne, la scientologie est considérée comme une organisation terroriste, en France comme une secte. Pourtant la scientologie n’a pas de sang sur les mains, contrairement au deux principales religions monothéistes qui ne comptent plus les massacres perpétrés à coups de croisades, de djihads, d’attentats... Des carnages qui leur ont donné le monopole du marché de la foi. Alors, les nouveaux venus qui n’ont pas participé aux tueries ne sont pas bien vus. Pour contrer la scientologie, les procès se multiplient comme au temps de l’inquisition, les biographies poubelles abondent, les journalistes se gaussent, les experts analysent la fameuse vidéo de Tom et comparent avec les méthodes de propagandes hitlériennes ( !). Bref, la star est condamnée au bûcher médiatique. Tout ça pour un acteur qui prône avec une certaine naïveté, il faut l’avouer, la paix entre les peuples, la réhabilitation des délinquants, la tolérance… Certes, Tom est plus charismatique que Benoît XVI ou Ben Laden. Alors, il fait peur. Et si on s’attachait surtout à l’artiste, à celui qui a joué entre autres pour Mann, Stone, Kubrick, De Palma, Spielberg, Woo, Pollack, Zwick, Scorsese, qui a dépoussiéré « Mission Impossible » et jeté les bases, en tant que producteur, d’un cinéma d’action moderne qui est tout sauf celui d’un cinéma de propagande ?

Le cinéma est également dans la politique. Je ne parlerai pas des USA où les deux se confondent depuis longtemps, au point de voir un cow-boy à la Maison Blanche et un Terminator dans le siège de gouverneur de Californie. Non, je me cantonnerai à la France où le phénomène est nouveau. Dans son rôle de chef d’Etat, Nico se balade en Ray Ban, se prélasse sur un yacht, déboule en banlieue pour castagner, profite de la fonction pour s’éclater et aligner les conquêtes, tchatche comme un acteur à qui l’on a refourgué de bonnes répliques, ce qui était loin d’être le cas des précédents Représentants de l’état, fossilisés dans leur costumes présidentiels amidonnés, s’affichant au bras d’une vieille potiche, et surtout adeptes de discours lénifiants. Quand Sarko déclare : « Avoir le maximum d’effectifs de police entre 8 heures du matin et 11 heures, ça ne sert à rien car nos clients, à ce moment-là, ils dorment », on se croirait dans du Audiard. Quant à sa nouvelle meufe, on la verrait plus dans le rôle de « La grande sauterelle » que dans l’ombre du président. Imaginez cinq minutes Louis de Funès avec Mireille Darc à l’Elysée. Les crétins qui font partie des panels de sondage s’offusquent de ce cinéma et patatras, c’est la baisse de popularité. A quoi ils s’attendaient tous ces blaireaux déçus du Sarkozysme ? A ce que leur pouvoir d’achat double dans l’année ? A ce que le taux de croissance de la France dépasse celui de la Chine ? A ce que Nico roule en Twingo et passe ses vacances à Palavas-les-flots? A ce qu’il comble, à lui tout seul, le trou de la Société Générale ? Il faudrait peut-être arrêter de se prendre la tête avec le cliché de la haute stature compassée et de l’omnipotence conférées à la fonction présidentielle. Tout le monde sait, à part les hommes des cavernes et ceux qui n’ont pas lu « La dernière arme » que le pouvoir a changé de mains et que le président de la République n’est plus qu’un bouffon. Alors, si celui-ci nous distrait, c’est déjà pas mal.