Monday, December 01, 2014
Josiane Balasko est une grande dame de la dramaturgie
française. Depuis quarante ans, elle n’a cessé d’imaginer des histoires
originales, tant au cinéma qu’au théâtre ou même en littérature avec son
décapant « Parano Express ».
Elle a ce talent de créer et d’incarner des personnages
mémorables (Nathalie des « Bronzés », madame Musquin, Marijo ou Gigi
Ortega font désormais partie de notre patrimoine culturel).
Elle a ce talent d’écrire des dialogues cultes (à chaque
fois que je vois un vendeur de roses à la sauvette je repense au « Non
merci, on a déjà baisé » de « Gazon Maudit »).
Elle a ce talent de mettre ses textes en scène avec un
perfectionnisme quasi polanskien, jusqu’au bout des costumes et des accessoires
(comme par exemple le dessin de la poire croquée sur l’ordinateur que peu de spectateurs, j'en suis sûr, remarquerons). Josiane Balasko a non
seulement étudié l’art dramatique mais aussi les arts graphiques, cela se voit.
Elle a ce talent qui n’a pas son équivalent dans le pdf
(paysage de la dramaturgie française) à part chez Michel Blanc et chez Agnès
Jaoui.
Dans sa dernière pièce, « Un grand moment de
solitude », c’est sous le rôle de Brigitte Gaillard que nous la
retrouvons. Elle est une psychiatre qui collectionne de façon compulsive les
buffets (les meubles pas les mets).
Appartement de Simon. Int. Jour.
Allongé sur son divan, Simon se confie à Brigitte qui s’est
déplacée pour une consultation à domicile. Il se révèle vite être un collègue,
agoraphobe solitaire retranché chez lui, traumatisé depuis trois ans par une
prise d’otage dans le jacuzzi d’un établissement thermal. Nous voici donc en
présence de deux psys encore plus atteints que leurs patients !
L’intrusion de deux marginaux va lancer l’action :
introducing Rosalie, une SDF qui veut arracher son chien Billy des griffes des
vivisecteurs et Jimmy, un hacker amérindien recherché par toutes les polices de
la planète. Rosalie et Jimmy sont deux personnages atypiques comme on aime en croiser souvent dans le monde de Josy. Ils vont contaminer nos deux névrosés du divan.
Ces caractères hors normes et hors système, joueront surtout le rôle de
catalyseurs auprès de Simon. Les évènements vont faire subir à celui-ci une
thérapie de choc. Les dialogues fusent dans toutes les langues, en français, en
anglais, en franglais (« I’m not bidouiller »), en argot, en langage
jeune ou en langage psy (« vous avez accéléré le processus de ma
maturation émotionnelle »). Josiane prend plaisir à manier la langue, à la
tordre dans tous les sens pour en tirer la drolatique moelle. Que nous soyons
dans une comédie de théâtre n’empêche pas qu’on y parle de NSA, de terrorisme,
de précarité, d’amour, de tendresse, de solitude, de libre-arbitre. Le rire qui
est le fond de commerce de Josiane Balasko est un moyen d’ôter les chaînes qui
font de nous les rouages névrosés d’une société malade, des individus tournés
vers nous-même, des êtres secs. Ce n’est pas pour rigoler qu’on rit ici, c’est
pour se libérer et retrouver une part de notre humanité, celle que nous
possédions avant que la société nous ait détraqués.
Mon dernier mot sera sur l’interprétation, car une pièce de
théâtre, c’est aussi et surtout le jeu des acteurs et leur direction. George
Aguilar dans le rôle de Jimmy n’a qu’à se montrer pour impressionner son
interlocuteur. C’est l’Ouest américain qui débarque sur les planches, c’est du
théâtre en cinémascope à lui tout seul. Justine Le Pottier aligne les injures
avec une fraîcheur déconcertante et un naturel qui nous ferait presque croire
qu’elle est entrée là par hasard. Kader Boukhanef joue en nuance et en
délicatesse, exprimant ses émois et ses émotions au fil de la métamorphose. Il
réalise la performance de ne pas être vampirisé par une Josiane Balasko
débridée dont chaque apparition est un éclat de rire, en particulier celle où
elle déboule déguisée en bonne sœur improbable.
Merci donc à cette grande dame pour ce grand moment de
bonheur.
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