Thursday, April 30, 2009

Au nom du Pèze, du Fric et du St Espèce

Les Français râlent, manifestent, défilent, revendiquent, brûlent, cassent, saccagent, prennent en otage, tuent, violent bientôt… Au nom de quoi ? De l’argent. Le nouveau dieu, la valeur ultime, l’idéologie dominante. Plus d’indemnités, plus d’allocations, plus d’augmentations, plus de dédommagements, plus de salaires, plus de commissions, plus de primes, plus de pensions, plus de parachutes dorés, plus de stock options, plus de couverture tirée à soit. Plus de fric pour éponger dettes et crédits, s’acheter une maison plus grande, une voiture plus grosse, un écran de télé plus large et plus plat, une cuisine plus intégrée, un salon plus en cuir. Des thunes pour remplir un réservoir de diesel ou un caddy de plats préparés, de liquides sucrés, de confiseries chimiques. De l’oseille pour acheter plus de chaussures, plus de fringues, plus de marques pendant les soldes. Du pèze pour se payer des forfaits téléphoniques illimités et des mobiles plus sophistiqués. Des sous pour s’offrir l’ordinateur le plus puissant, des Wii, des PS, des iPod, des home cinéma. Du blé pour s’empiffrer dans des restos ou des clubs de vacances all inclusive, barricadés dans des pays qui crèvent la dalle. Du pognon pour s’offrir des tas de trucs aux enchères sur e-bay. Du flouze pour entasser les cadeaux autour d’un sapin mort, se péter la panse au Réveillon, s’aviner de millésimé, manger encore et encore. Des tas d’oseille pour se payer une quinzième bagnole, une villa de plus sur la planète, une femme plus jeune, un jet plus cossu, une île, un gouvernement, un pays. Pauvre ou riche, on veut de l’argent pour avoir plus, même si on ne sait pas quoi. Sarkozy, le « Monsieur Plus » de la politique, a tapé dans le mille. L’esprit sain dans un corps sain, c’est désuet. La nouvelle philosophie c’est de travailler plus pour gagner plus, gagner plus pour consommer plus, consommer plus pour travailler plus, et la boucle sera bouclée. Le chiffre de la croissance en dépend. Au détriment du bien-être, de l’environnement, de la planète, de l’art, de la connaissance, de la santé mentale. Courber l’échine plus longtemps pour posséder, profiter, prendre tout ce qu’il y a à prendre. Benoît 16 soupapes a récemment mis le turbo sur l’abstinence sexuelle. Mais pas sur l’abstinence matérielle. Car c’est devenu un luxe que même les Tibétains, envahis par la nouvelle société de consommation chinoise, ne peuvent plus se payer aujourd’hui.

Je rentre d’une région de l’Espagne appelée Andalousie. Les gens y vivent autrement. Loin d’être le plus riche d’Espagne, le peuple andalou semble moins touché par la crise. Parce que ses valeurs ne sont pas l’argent, ni le travail, ni les biens de consommation. Ses valeurs sont celles de la famille, de l’amitié, de la fraternité, de la fête, ensemble. Le mot « ensemble » galvaudé par les slogans de nos politiciens a un véritable sens ici. En Andalousie, on festoie, on ripaille, on chante, dans les bodegas des villes ou dans les champs à la campagne, entre jeunes et vieux, autochtones et étrangers, amis, voisins, parents, enfants, animaux. Toutes les occasions, feria, fête religieuse, anniversaire, mariage, sont bonnes pour se réunir dans la liesse et la chaleur humaine. C’est cette fraternité qui fait la richesse andalouse. L’argent n’y est plus indispensable. Pourquoi acheter un appartement quand une tante ou un oncle de Séville ne demande qu’à héberger celui de la famille qui vient faire ses études ? Pourquoi acheter une voiture quand les parents se plaisent à jouer les chauffeurs ? Pourquoi parquer les vieux dans des maisons de retraite quand les enfants veulent les avoir près d’eux ? Pourquoi se ruer vers les supermarchés quand au village on fait pousser des légumes et qu’on tue le cochon ? Au cours de mon voyage, un grand-père qui peignait aussi bien que Velasquez m’a ouvert sa porte pour me monter ses toiles, une mère a offert une robe de flamenco à ma fille, des jeunes nous ont nourri et abreuvé pendant toute une journée, un joueur de guitare a même réussi à me faire chanter, j’ai mangé des fraises aussi grosses que des pommes, parlé des heures sans connaître un mot d’espagnol, j’ai vu des filles plus belles que des reines de beauté défiler sur des chars tirés par des tracteurs, j’ai croisé des flics qui avaient le sourire, bref j’ai vu des gens heureux.



Se posent-ils la question de savoir si le dieu monétaire va nous faire sortir de la crise ? Si nous allons droit dans le mur ou si nous faisons marche arrière? Si nous allons réessayer les vieilles recettes proposées par un fonctionnaire révolutionnaire ou une ouvrière en lutte, recettes qui mènent fatalement au goulag et aux camps de rééducation ? A ces questions anachroniques, un Sévillan vous répondra « Ponme una canita con unas olivas » (donne-moi une bière et des olives).



Il n’y a pas à attendre qu’un expert, un politicien ou un gourou nous dise laquelle de l’ancienne ou de la prochaine civilisation est la meilleure. Car de toute façon, on va tout droit vers la prochaine. L’humanité évolue inexorablement. Qu’on le veuille ou pas. Que ce soit un problème ou pas. La crise économique n’est qu’une étape prononcée de cette évolution. Certes, l’intelligence se développe plus vite que la sagesse et les muscles perdent de leur utilité. Ces derniers sont entretenus artificiellement sur des terrains de sport ou dans des salles de gym. Le cerveau interne s’atrophie au profit du télencéphale, entrainant un déséquilibre mental, des maladies nerveuses, des psychoses. Alors comment s’adapter à ce changement? En créant de l’équilibre, car seul l’équilibre va dans le sens de la bonne évolution. Opposer la sagesse à l’agressivité, l’ouverture d’esprit aux habitudes, la curiosité aux certitudes, la mobilité à l’immobilisme, la générosité à l’appât du gain, la fraternité au fanatisme. Se conduire ni comme un criminel cupide, ni comme un chef spirituel détaché. Accepter de changer, avec effort et avec justesse. Savoir vivre tout simplement. A cette seule condition, ce qui est mauvais se transformera en mieux. Et une autre civilisation naitra paisiblement.

3 Comments:

Anonymous véronique said...

Oui et que dire de l'accueil des Portugais du Sud !

Pour avoir fait les deux d'affilé, l'Algarve est encore plus brute et originelle que l'Andalousie... Mais ils sont plus méfiants et là il faut deux ou trois mots de portugais...

(pour détail je suis celle qui a pris la photo du Salon du Livre 2009 avec Marc B.)

1:17 AM  
Blogger pampa said...

ah enfin
un bon billet :)
un phillip en grande forme
cela fait du bien à lire
a plus et mes amities à nathan, dites lui qu'on l'attend

cordialement

12:14 AM  
Blogger Philip Le Roy said...

Et un retour de Pampa dans les comments!:-) Cela fait plaisir d'avoir des nouvelles. Nathan lui aussi est en grande forme d'autant plus qu'il n'a pas eu grand chose à accomplir ces dernières semaines, car je travaille sur un scénario de film. Mais il ne perd rien pour attendre. Je viens de faire quelques repérages en Espagne, et ça promet...
Quant à l'Algarve, Véronique, cela fait partie de mes futures destinations. Le temps d'apprendre deux ou trois mots de portugais...

12:37 AM  

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