EST-CE QUE CE MONDE EST SERIEUX?

Les lycéens s’arrachent de leur canapé et délaissent provisoirement leur Playstation pour aller défiler contre la réforme du régime des retraites, sans savoir quel en est la teneur, ni que les vieux, aux côtés de qui ils vont brailler, leur laissent 25 000 euros de dette par tête et leur ponctionneront une part croissante sur leur futur salaire (s’ils ont la chance d’en avoir un !) pour financer leur mise au rencard prématurée. Dans un système qui s’écroule, les ados pensent déjà à leur retraite anticipée et se foutent eux-mêmes royalement de la dette faramineuse qu’ils vont refiler à leurs enfants. Super Mario président ? C’est le paradoxe de l’irresponsabilité.

Est-ce que ce monde est sérieux ?

A Marseille une poignée de grutiers mécontents et cégétistes, payés 4000 euros par mois pour 18 heures de labeur par semaine, bloquent le port et portent atteinte à l’activité de 3000 entreprises de la région. Cela fait rire la Chine et l’Inde qui tournent à plein régime. C’est le paradoxe du « toujours plus » qui conduira au « plus rien du tout ».

Est-ce que ce monde est sérieux ?

A l’autre bout du monde, les 33 mineurs chiliens coincés sous terre depuis 67 jours sont sur le point d’être remontés. Ils ont été briefés, conditionnés, coachés pour réussir leur sortie. Les médias ont transformé ce coin paumé du Chili en plateau télé et les mineurs en « personnages de télé réalité ». C’est le paradoxe de la médiatisation.

Est-ce que ce monde est sérieux ?

En Corée du Nord, Kim jong-il prépare sa succession. Son fiston à face de lune, Kim jong-eun a été propulsé en orbite devant un défilé d’armes de destruction massive et de pantins en uniformes martelant le pavé au pas de l’oie. Les deux Kim ont applaudi le show, fiers de l’unique production du pays le plus attardé de la planète. Comme quoi des mongoliens peuvent diriger, de père en fils et sans être inquiétés, un pays à eux tout seuls. C’est le paradoxe du mongolisme.

Est-ce que ce monde est sérieux ?

En Asie du Sud-est, la production d’huile de palme destinée aux produits alimentaires, aux cosmétiques et aux peintures conduit à des déforestations massives et à la destruction totale d’écosystèmes. Mais un nouveau débouché va doper la production d’huile de palme : les biocarburants dont elle est un ingrédient de base. C’est le paradoxe de l’écologie.

Est-ce que ce monde est sérieux ?

Vous allez me rétorquer du politiquement correct à base de « droit de grève », « d’avancée sociale », et « de non ingérence en pays étranger »… vous allez dire que ce sont des points de vue d’un écrivain du haut de son piédestal, en marge du système. C’est vrai qu’un écrivain est en marge, ça bosse à la maison, le pire endroit pour travailler tranquille, ça n’a pas de salaire sauf les maigres droits d’auteur versés deux ans après avoir fourni le manuscrit (et encore quand on a la chance d’être payé !), ça n’a pas non plus de retraite, ça fait vivre un tas d’intermédiaires et de parasites qui ne lui laissent que la plus petite part d’un gâteau qu’il a confectionné, ça se cogne des foires aux livres à tire-larigot (car maintenant n’importe quel bled à sa fête du livre) dans lesquelles il se retrouve parqué derrière des stands à regarder défiler des blaireaux en quête du présentateur vedette venu dédicacer son dernier bouquin écrit par un autre. Dans notre société, les écrivains sont pris pour des bouffons, pire : des cons. Pas de piédestal, donc. Pour le coup, ils auraient des raisons de manifester eux aussi, de défiler dans les rues, de brandir des banderoles qui auraient l’avantage d’être bien écrites et de ne pas contenir de fautes d’orthographes. Le problème, c’est que s’ils se mettaient en grève, cela n’empêcherait les gens que de lire. Alors autant continuer à écrire. C’est le paradoxe de l’écrivain.

Est-ce que ce monde est sérieux ?

Bon, j’arrête là.