TROIS CHEFS-D'OEUVRE
A cause d’un livre et de deux films.
Les coupables : Karine Giebel, Clint Eastwood, Darren Aronofsky.
Commençons par la dame.
Karine Giebel.
Son roman : « Meurtres pour rédemption »
Ecrit, mal publié en 2007, republié par le Fleuve Noir en 2010.
Depuis trois ans, je n’avais rien lu d’aussi prenant. Depuis « La griffe du chien » de Don Winslow, pour être exact. Aussi épais d’ailleurs, près de 800 pages.
Son héroïne, Marianne, est un personnage comme vous n’en verrez pas beaucoup. Aussi fascinante que la Ann X d’Ayerdhal, mais plus voyante, plus présente, plus attachante, faite de chair et de souffrance, de bien et de mal, sous l’emprise d’un destin tracé par une société cynique. L’histoire ? Je ne vous dirai rien, car il ne faut rien dévoiler aux lecteurs qui aiment le suspens. Je ne recopierai même pas la quatrième de couverture. Ceux qui me connaissent savent combien j’accorde de l’importance à l’intrigue. Et là, elle est parfaite. Tout s’emboîte, c’est inattendu, inévitable, impeccable, implacable. Certains grincheux diront que la première partie est trop longue. Comme le temps que l’on passe en prison, aurais-je envie de rétorquer.
Et puis, il y a le style. La cogne de Karine, dans chacune de ses phrases qui vous font chanceler, dans chacune de ses répliques qui claquent avec une vérité incroyable, dans chacun de ses chapitres d’une violence à la limite du soutenable. « Meurtres pour rédemption » est un véritable pavé dans les eaux dormantes du polar français. Et je suis d’autant plus l’aise de mettre ce roman sur un piédestal que je n’ai pas le plaisir de connaître Karine. Donc, pas l’once d’un soupçon de copinage pour orienter cette opinion.
Au tour du senior, maintenant.
Clint Eastwood. Et son "Au-delà".
Le cinéaste ne s’était pas encore attaqué au thriller fantastique. C’est fait. Et c’est bouleversant. A la différence de Kubrick qui filmait l’humanité à la hauteur de Dieu, Eastwood filme à hauteur d’enfant, de femme, d’homme. Jamais je n’ai vu un metteur en scène avec une telle capacité à rendre attachant un personnage dès la première seconde, de saisir son vécu et faire naître l’émotion avec autant de vérité et de délicatesse, sans pathos, sans voix off, sans verbiage, comme au temps du cinéma muet où tout se communiquait par l’image. Troublant vraiment. Le petit jumeau anglais, sorte d’Oliver Twist marqué par une vie difficile, filmé souvent de dos, va de l’avant, tenace dans sa quête. La journaliste française, souvent cadrée de face se prend en pleine figure un tsunami climatique et existentiel. Le voyant américain, souvent filmé de profil, porte sa malédiction sur ses épaule.
« Au-delà » aligne les scènes d’anthologie, celles du tsunami en Asie, de l’attentat dans le métro, de la dégustation culinaire les yeux bandés, de la course à la pharmacie…
Certains plans contiennent plus de sens qu’un film entier. Celui où la maîtresse demande à Marcus d’enlever sa casquette alors qu’il est assis à côté d’une fillette en tchador. Celui où Marcus cherche des réponses sur l’au-delà et obtient en deux clics celles des deux principales religions monothéistes. Celui où Marie déboulonne l’icône Mitterrandienne, ce qui peut expliquer d’ailleurs l’accueil mitigé de certains critiques français.
« Au-delà » va au-delà du discours cinématographique traditionnel ou fantaisiste sur la mort. Il nous touche, nous émeut, nous arrache des larmes et des sourires, nous plonge dans une certaine félicité. Car au bout du compte, c’est une leçon de vie universelle que nous offre Clint Eastwood. La dernière scène, réussie comme dans tous ses films, l’atteste : la mort ne concerne qu’une seule catégorie de gens, celle des vivants. Il ne fallait pas en attendre moins de la part d’un cinéaste immortel.
Troisième choc : « Black Swan » bientôt sur les écrans français (en février). Signé par un cinéaste surdoué capable de s’attaquer à des sujets aussi peu hype que l’explication du monde par 3,14116, la dépendance sous toutes ses formes, la quête méditative millénaire vers la pureté absolue ou la fin pathétique d’un vieux catcheur.
Avec « Black Swan », Aronofsky s’attaque au « Lac des cygnes » et au monde des ballerines pour en faire une sorte de « Carrie au ballet de New York ». Fabrication de la perfection par une mère qui veut voir sa fille devenir la danseuse qu’elle n’a jamais pu être. Quête de la perfection chez une danseuse étoile sous pression incarnée par une actrice parfaite, au sommet de son art : Natalie Portman époustouflante qui ne recule devant rien pour jouer la fracture de son personnage. Cette fusion d’autant d’art (cinéma, danse, musique, jeu d’actrice) est vertigineuse. Comme toujours chez Aronofsky, c’est très noir, très glauque, très intriguant, très déstabilisant, transcendant, radical. La première scène vous clouera au fauteuil, tout comme d’autres que vous n’avez pas l’habitude de voir au cinéma. Pas besoin de 3D ou d’effets spéciaux pour renforcer l’impact. Comme chez Eastwood, la caméra filme les personnages de l’intérieur, tourbillonne et se fracasse avec eux, capte leur souffrance, leur intensité, leur exultation. Le cinéaste nous fait endurer leur parcours, de la même façon que nous avions vécu l’enfer de la drogue dans « Requiem for a dream ». Et c’est exténué et béat que l’on ressort de cette expérience ultime.
Assurément, 2011 commence très fort et la barre a été mise très haute.
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