VIVE LES FEMMES!
J’ai récemment écrit une chronique pour Phénix Mag sur la nouvelle vague du cinéma hexagonal, celle des doués de la caméra, nourris à Mad Movies, louchant sur Hollywood, filmant avec virtuosité des scripts qu’ils ont écrit avec leurs pieds.
Je suis attiré par le fantastique et l’horreur, aussi indispensables à l’imaginaire que les fées et la sorcière dans Cendrillon. Mais il faut que cela soit intelligent comme chez Night Shyamalan, John Carpenter, Alfred Hitchcock, Jaume Balaguero, Roman Polanski, Hideo Nakata, William Friedkin… Sous influence, les Frenchies, eux, n’influencent personne. Et leur cinéma s’appauvrit à force de reprendre des recettes.
Il faut donc se tourner vers ceux qui créent sur des plates-bandes différentes de celles déjà défrichées par les grands réalisateurs. Je pense à deux artistes. Deux femmes. Elles s’appellent Agnès Jaoui et Josiane Balasko. D’où ce cri du cœur à la Raiser, qui fait le titre de cette rubrique.
Le terrain d’Agnès Jaoui et de Josiane Balasko n’est pas le fantastique, c’est le réalisme. Leur engrais n’est pas l’horreur, c’est l’humour. Mais c’est le même combat. Car faire rire et faire peur au cinéma, c’est ce qu’il y a de plus difficile.
« Parlez-moi de la pluie » est aussi agréable que l’odeur de la campagne après une ondée. On en ressort avec une sensation de bien-être et l’envie d’aimer son prochain. Du moins, avec la volonté de réviser notre vision sur les autres. On est un peu déboussolé comme toujours chez Jaoui, car on ne sait pas comment vont réagir les personnages. Ceux-ci sont subjectifs, au sens kirkegaardien du terme, c’est-à-dire qu’ils ne sont enfermés dans aucun système existentiel. Ce n’est pas pour rien que le film cite le philosophe. Et faire rire avec Kirkegaard, c’est du grand art.
Pas de caricature donc, pas de grossissement du trait, pas de caractérisation grossière, pas de stéréotype, propice à l’esclaffement. Jaoui ne juge pas. Et nous non plus, car cela reviendrait à nous juger nous-mêmes. L’humour, Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri vont le chercher dans la vérité de la nature humaine.
Chez eux, les personnages sont au deuxième stade de l’existence, c’est-à-dire au stade éthique, entre esthétique et religieux. Vivre au stade éthique, c’est mettre de la continuité dans son existence, accepter les responsabilités envers soi-même et les autres. En voulant ce qui leur arrive, les individus Jaouiens sont libres. Ils vont jusqu’au bout. En cela, ils sont des héros. Impossible de les étiqueter, puisqu’ils sont en devenir. Du coup chacun d’eux est une interrogation, un enjeu, un suspense à lui tout seul.
Jaoui-Bacri ne passent pas au troisième stade, celui du religieux qui donne une justification à la souffrance. Se bornant aux limites du stade éthique, leurs personnages privilégient le devoir envers un enfant ou un ami sur le devoir envers Dieu. Faute de justification à leur souffrance, ils ne sont pas en paix.
Certains grincheux diront qu’Agnès Jaoui se répète un peu. Reprochait-on à Mozart, à Hitchcock ou à Simenon de se répéter ? Ne confond-on pas style et répétition ?
Si « Parlez-moi de la pluie » n’est pas aussi abouti que les deux premiers chef-d’œuvre d’Agnès Jaoui (« Le goût des autres » et « Comme une image ») il n’en demeure pas moins le meilleur film français de l’année, après «Cliente».
« Cliente » est aussi jouissif qu’un après-midi coquin sous la couette.
Josianne Balasko se plait à enfoncer les derniers tabous, sur le registre « Toutes les formes d’amour sont possibles ». Après l’homosexualité féminine abordée avec « Gazon maudit », elle s’attaque à l’amour chez la femme de plus de cinquante ans, sujet déjà évoqué dans son roman « Parano Express » et développé dans « Cliente » en même temps que celui de la prostitution masculine. On comprend que les chaines de télé et les producteurs coincés n’aient pas kiffé devant le sujet, eux qui ont l’habitude de s’adresser à la ménagère de moins de cinquante ans. Josiane Balasko s’est donc tournée vers de jeunes producteurs libérés qui lui ont permis de filmer toutes les formes d’amour, avec un grand A, avec un petit jeune, avec un gros chèque, avec un Apache épais, avec une bobo ou une prolo.
A priori je suis pas client du thème de « Cliente ». Mais Josiane pourrait filmer le trou de la sécu ou les amours de Ségolène Royal que cela me passionnerait. Bon sang, qu’est-ce que c’est bien écrit, bien dialogué, bien joué, bien filmé ! Josiane Balasko a le chic pour rapprocher les contraires et les frotter tels deux silex pour en faire jaillir l’étincelle et alimenter la flamme. Bourgeois et prolétaires, jeunes et vieux, solitude et promiscuité, chanson à l’eau de rose et rap se percutent pour le meilleur et pour le pire. En filmant aux frontières de ces mondes parallèles, elle en souligne les fragilités et les limites. Et tout ça dans l’humour, la poésie et l’émotion. Quant aux répliques, c’est du petit lait. Des exemples pour vous faire saliver ?
Je suis protégée par mes certitudes et rassurée par mon carnet de chèque.
J’ai la tête de celle qui est en train de se faire larguer, pas de celle qu’on aime.
Dans dix ans, ce sera comment de se taper des minets ?… Plus cher.
Je paye que pour le plaisir. J’ai suffisamment payé pour le reste.
Quel âge as-tu ?… On ne demande pas l’âge d’une femme de 51 ans.
A l’issue de la projection, j’ai eu la chance de m’entretenir avec Josiane Balasko qui m’a présenté son mari, George Aguilar, l’interprète de Jim dans le film, un indien Apache taillé dans la roche du Canyon de Chelly. Josiane, qui me fait l’honneur d’être une de mes lectrices, s’émerveillait de la quantité d’informations et de documentation que je devais amasser pour préparer mes romans. Humblement, elle me confiait que ses sujets de mœurs ne nécessitaient pas de telles recherches. A ce moment, j’ai pensé à l’anecdote que l’on raconte sur Picasso. Le célèbre peintre dînait dans un restaurant lorsqu’une personne lui demanda de lui dessiner un petit truc sur la nappe. Picasso s’exécuta et demanda une somme que la personne jugea faramineuse. « Cela ne vous a pris que 5 minutes » protesta cette dernière. Ce à quoi Picasso répondit : « 5 minutes plus 80 ans ».
Josiane Balasko passe peut-être moins de temps que moi à se documenter sur le sujet de ses films, mais il faut ajouter à ce temps plus de 50 ans de talent. En tout cas je la remercie de m’en avoir consacré un peu du sien et de m’en avoir offert du bon pendant deux heures!
Pour conclure, je dirai que derrière le visage renfrogné d’Agnès Jaoui, le regard bougon de Jean-Pierre Bacri, la fragilité de Jamel Debouzze, derrière le beau visage lifté de Nathalie Baye et l’air revêche et malicieux de Josiane Balasko, on assiste à une bonne leçon d’humanité et de tolérance. « Parlez-moi de la pluie » et « Cliente » m’ont déconditionné de tous les personnages stéréotypés qui ont envahi le cinéma et la littérature.
Allez-y, vous ressortirez de la projection avec une envie de vous débarrasser de vos préjugés, de foutre à la poubelle votre jugement sur les autres, et une fringale de tolérance que nous avons perdue à force d’étiqueter les gens. La morale de ces deux contes, car ce sont aussi des contes, c’est qu’en derrière un con, il y a quelqu’un de bien. Et vice-versa.
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